A lire sur l’INDEPENDANT du 29/12/2016
Ne l’appelez pas champagne au risque de créer un incident diplomatique retentissant. Car on ne rigole pas avec la prestigieuse appellation d’origine contrôlée champenoise. Au-delà du périmètre de l’AOC, impossible en effet de se réclamer de la trempe de ce vin ultra-valorisé, devenu une référence du luxe à la française. Mais cet art de vivre et de vinifier n’est pas réservé qu’aux seules maisons de Champagne.
Des vignerons l’ont bien compris. Parmi lesquels Gilles Jaubert, du domaine Château Planères à Saint-Jean-Lasseille, pour qui champagnisation rime avec patrimoine viticole catalan. Car pour se lancer dans la méthode traditionnelle et produire du brut de brut au pied des Albères, il aura fallu attendre un événement historique. D’une croisade menée avec Pierre Torrès, l’expert en vignobles et vins, au nord de la Sardaigne, Gilles Jaubert a rapporté au pays un cépage autochtone, arraché aux vignes du Roussillon depuis des siècles.
- Avec le plus vieux cépage catalan
La genèse des perles de Planères. «Nous nous sommes rendus du côté de l’Alguer où se trouve le cépage appelé tourbat du Roussillon. Il s’agit d’une variété de malvoisie mais surtout, c’est le plus vieux cépage catalan, cultivé depuis le XIIIe siècle, au temps du Royaume de Majorque», explique le vigneron. De retour à Planères avec une souche dans les valises, le processus à fines bulles était enclenché. Une vigne mère de tourbat a vite trouvé sa parcelle au domaine.
Puis le travail œnologique a commencé. Et les premiers résultats n’ont fait que confirmer les prédictions des pionniers vignerons. «Très vite, on a conclu que ce cépage de blanc, avec une acidité haute et une belle complexité aromatique pouvait tout à fait convenir à une champagnisation», poursuit Gilles. À condition de maîtriser une bonne maturité et d’adapter le cépage aux différentes étapes de la méthode traditionnelle. Méthode traditionnelle qu’il faut traduire par méthode champenoise.
- Comme un cousin germain du champagne
Mais on le répète, rien à voir avec le champagne. «Il nous a fallu quatre ans de travail pour élaborer les Perles de Planères. De la prise de mousse au dégorgement, le processus est en tout point identique à ce qu’il se passe dans les caves de Champagne. Tout se fait manuellement», souligne en tout cas le pétillant vigneron. Mais c’est en bouche que la magie opère. Le goût de champagne est bluffant mais avec un style bien particulier. Comme un cousin germain du champagne, serait-on tenté de dire.
Si bien qu’il faut avoir un palais bien exercé pour trouver des différences. «Les bulles sont délicates et fines, elles montent rapidement et forment un joli disque de mousse. Il est très délicat au nez, avec des notes d’agrumes vertes et de pêche blanche.» On se croirait à Épernay. «Tendu», frais et élégant, ce vin effervescent qui a tout d’un champagne de qualité fait donc dans la singularité. Dans l’exception frappée du sceau de la catalanité. Une perle à déguster toutefois avec modération.
- Plouzennec: «C’est une façon intelligente de travailler le terroir»
«Le goûter c’est l’adopter». Le président des toques blanches, Jean Plouzennec, ne tarit pas d’éloges sur un vin qu’il compare volontiers au plus célèbre des vins effervescents. «Déjà, on se régale avec, mais surtout, ce que fait Gilles Jaubert, c’est une façon intelligente de travailler le terroir. Avec un cépage autochtone réintroduit en Roussillon, vinifié de façon moderne et remis au goût du jour», confie le chef. Plus qu’un défenseur, le chef est devenu l’un des ambassadeurs des Perles de Planères. Et ce «produit extraordinaire», comme il le qualifie lui-même, il le marie à toutes les sauces, notamment au moment des fêtes de fin d’année. «Il s’accorde très bien avec les huîtres, le saumon ou le foie gras mais aussi avec les coques catalanes à la pistache, par exemple. C’est quelque chose de très fin, de très agréable pour un prix extraordinaire (10 euros en moyenne, selon les cavistes, NDLR). Et avec un bar en croûte façon Ducasse, c’est vraiment merveilleux !»
Une demande en hausse. Avec 5hectares de tourbat du Roussillon, Château Planères produit 12.000 bouteilles par an. En blanc et en rosé. Une production qui s’écoule si vite qu’il est aujourd’hui impossible de trouver le magnum, sorti il y a deux ans. Les Perles de Planères se retrouvent également au Japon, en Chine et en Corée du Sud.